Voyage d’études en Haut Adige : quelles solutions à retenir ?

L’approche territoriale de la transition écologique en Haut-Adige : quelles solutions à retenir ?

La province du Haut-Adige, partagée entre paysages montagneux et viticoles.

[Note du Pôle Métropolitain de l’Artois : cet article a été produit par le média Territoires Audacieux qui a accompagné le Club des élus de l’écotransition tout au long de son voyage d’études dans le Haut-Adige, qui s’est déroulé du 2 au 7 mai 2024]

Situé à la frontière autrichienne, le Haut-Adige compte parmi les cinq territoires autonomes d’Italie. La province aux quelque 500 000 habitants est portée par ses activités touristiques et agricoles. Partagée entre la chaîne du Tyrol, le parc naturel des Dolomites et ses vignes de prestige, cette région place la transition écologique au cœur de sa stratégie territoriale.

Le plan climat “KlimaLand” 2040 du Haut-Adige émerge dès 2011, visant la neutralité carbone et la production de 100% des besoins en énergie du territoire via les énergies renouvelables à horizon 2040. Focus sur la manière dont les acteurs locaux œuvrent pour remplir les objectifs de développement durable de la province, dans un contexte d’urgence climatique synonyme de grand défi.

En 2018, la province du Haut-Adige entame un virage structurant dans sa stratégie territoriale de transition écologique. Son président, Arno Kompatscher, place le service “Transition écologique” au-dessus de tous les autres bureaux du gouvernement provincial. Un choix fort visant à verrouiller la notion de transversalité de la transition écologique.

Dans la foulée, la province calque ses actions sur les Objectifs du Développement Durable (ODD) de l’ONU. Tous les bureaux gouvernementaux, de l’économie à la culture en passant par l’agriculture, sont alors analysés pour repérer les effets – directs et indirects – que peuvent avoir leurs activités sur les 17 ODD. Un moyen de faire prendre conscience aux élus et agents provinciaux du caractère systémique de la transition écologique.

En Haut-Adige, les 17 ODD ont été déclinés dans la stratégie Climat 2040 en 157 actions, réparties dans 7 domaines. Parmi eux, nous retrouvons quatre domaines thématiques : réduction des gaz à effet de serre ; compétitivité et économie circulaire ; protection des espaces naturels et de la biodiversité ; modification des habitudes de consommation et des schémas de pensée. Pour chacun d’entre eux, la province s’attelle à solidifier ses actions en assurant un suivi évaluatif, en favorisant la participation citoyenne et en communiquant massivement envers les citoyens du Haut-Adige.

Les mobilités et l’efficacité énergétique, clés de voûte de la stratégie territoriale

Véritables points de passage stratégiques entre le nord de l’Allemagne et le sud de l’Italie, le corridor du Brenner et l’A22, situés dans la province du Haut-Adige, voient transiter plus de 14 millions de véhicules chaque année.

Pour endiguer le trafic routier, le plan provincial de mobilités prévoit plusieurs solutions. La plus importante relève du renforcement des axes de transport ferroviaire. Or, le réseau de voies ferrées est “déjà exploité au maximum de ses capacités avec les infrastructures actuelles”, concède Michael Andergassen, responsable du plan mobilités de la province.

D’importants aménagements sont donc à consentir pour permettre de rediriger une partie du trafic routier au fret vers les rails. Pour se rassurer, la province peut garder en mémoire la réouverture de la ligne de train ralliant Malles à Merano. Cet itinéraire de montagne avait été fermé en 1991 et remise en service en 2005 puis convertie à l’électrique en 2022. Un axe stratégique qui permet notamment de faciliter la liaison entre Bolzano et la ville autrichienne d’Innsbruck, de l’autre côté des montagnes tyroliennes.

La gare ferroviaire de Bolzano, principal pôle intermodal de la province du Haut-Adige.

La province du Haut-Adige met également en place un processus de digitalisation de ses axes de transports. L’objectif ? “Rendre aussi simple l’usage du transport en commun que de la voiture”, ambitionne Michael Andergassen. Pour ce faire, deux moyens sont exploitables. D’abord, la simplification des paiements dans les transports en commun et un système de gratuité des parkings pour ceux qui utilisent les moyens de locomotion collectifs.

Ensuite, l’utilisation des ressources numériques pour améliorer l’efficacité du trafic routier. L’idée est de mieux répartir le trafic sur l’ensemble de la journée, en modulant par exemple les prix des péages en temps réel grâce aux données de fréquentation des axes autoroutiers. Les camions de marchandises peuvent également consulter les prévisions de fréquentation sur l’axe routier du Brenner, passage le plus emprunté de la région, pour réserver leur place et ainsi circuler au meilleur timing possible.

L’agence Casa Clima, garante de la sobriété énergétique des bâtiments

Connue pour ses paysages, sa pratique du ski et ses activités de montagne, la région du Haut-Adige dispose d’une forte attractivité touristique. Si les volontés de développement économique mènent à la construction de nouveaux logements et infrastructures d’accueil des touristes, cela ne fait qu’accentuer l’importance de la sobriété énergétique des bâtiments. C’est ainsi que l’agence Casa Clima (ou Maison du Climat) s’installe comme un acteur public essentiel de la stratégie du territoire.

Son approche vise à accompagner tout projet de construction de logement pour en réduire la consommation en énergie et couvrir les besoins résiduels des futurs bâtiments. Dès la phase architecturale, l’agence propose un service de conseil auprès des habitants. Un catalogue des fournitures éco-durables est mis à disposition des citoyens, dans l’optique de construire des maisons de qualité et parées aux risques de rénovation prématurée afin de réduire l’empreinte carbone des constructions.

Vient alors le contrôle, soit la phase la plus importante du processus. Car c’est lors de la construction que se joue la qualité d’un bien immobilier. “Les garanties positives pour l’acheteur et pour l’habitant ne servent à rien si des bavures ont lieu”, explique Ulrich Santa, directeur de l’agence Casa Clima.

L’argument financier est également mis en avant. Jusqu’en 2030, la province du Haut-Adige alloue par exemple 1,2 M€ par an aux constructions en bois, qui permettent de stocker davantage de CO2 que les édifices bétonnés. Pour les bâtiments construits avec au moins 100 kilos de bois par m2, la province adjuge au propriétaire un bonus de 500€ par tonne d’équivalent CO2 stockée.

À date du 3 mai 2024, le directeur de Casa Clima, Ulrich Santa, affirme qu’un tiers des bâtiments du Haut-Adige disposent du label “éco-certifié”. D’autre part, la consommation énergétique de la province est stabilisée depuis 10 ans. Mise en parallèle avec la croissance du PIB par habitant et l’augmentation de la population provinciale, cette statistique confirme que le travail de sobriété mené sur le territoire a permis d’endiguer sa potentielle explosion à la hausse.

D’après Ulrich Santa, ces résultats sont également rendus possibles par la souscription des communes de la province au programme Commune Climat. Les plans municipaux qui en découlent ont deux objectifs principaux : l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.

La mobilisation des communes et l’exemple de la ville de Caldaro

Les villes et villages de la province du Haut-Adige doivent faire partie du programme Commune Climat. Parmi les précurseurs, la commune de Caldaro (8 500 habitants) l’a intégrée dès 2018 et dispose de la certification “Argent”.

Région très touristique, le Haut-Adige tient à contrôler l’impact de ses bâtiments sur l’environnement.

Ce programme a découlé sur la création de l’équipe Énergie de la commune, constituée des élus municipaux et d’experts du secteur énergétique. Leurs réflexions ont, par exemple, mené au chantier de la centrale d’eau potable de Caldaro entre 2018 et 2021. Celle-ci participe grandement à la production d’énergie dite “écologique” de la commune, évaluée à 300 000 kWh par an.

“Ce qui compte, c’est de minimiser notre empreinte carbone”, martèle Werner Atz, vice-maire de Caldaro. Pour ce faire, la commune accompagne les citoyens et des entrepreneurs en termes de matières à privilégier pour les constructions. “On ne leur suggère pas directement les achats à effectuer, mais on leur liste les produits qui sont disponibles pour leur permettre de prendre une décision vertueuse”, explique l’édile de Caldaro.

Pour rendre compte des actions menées à l’échelle communale mais aussi dans le but d’inciter les citoyens à rejoindre le mouvement propice au développement durable, Caldaro s’efforce de communiquer auprès de ses habitants. Depuis son entrée dans le programme Commune Climat, la ville a notamment créé un partenariat avec une vingtaine d’associations environnementales locales. Ensemble, elles multiplient les opérations de sensibilisation telles que le mois de la lutte contre le changement climatique, en place depuis 2019.

Pour renforcer l’usage des mobilités douces, Caldaro mise sur le vélo et les transports en commun. Une application de calcul des émissions de CO2 a été popularisée sur le territoire, permettant aux habitants de conscientiser l’impact de leurs choix sur l’environnement. En 2023, 58 000 km de déplacements doux ont été recensés via l’application, économisant ainsi plus de 10 000 kilos de CO2.

D’autres actions sont menées, notamment auprès des collégiens de la commune. Ces derniers ont eu l’occasion de réaliser des spots vidéos sur la gestion de l’eau potable ou un tutoriel pour bien réparer son vélo et d’être informés sur les sources d’énergies renouvelables en participant à la pose de panneaux photovoltaïques. Si les jeunes (de la crèche au lycée) sont mobilisés avec succès, le hic reste la tranche des 25-35 ans. La commune n’a pas encore trouvé la recette pour les atteindre, malgré les efforts faits sur les réseaux sociaux.

Le Conseil citoyen pour le climat, outil de participation et de mobilisation autour de la transition

À l’échelle du Haut-Adige, la volonté de participation citoyenne est caractérisée par le Conseil citoyen pour le climat et le Forum des parties prenantes. Ces deux instances ont vu le jour à la fin de l’année 2023 et visent à faire réfléchir les citoyens d’un côté et, de l’autre, les délégations d’acteurs (culture, économie, environnement, social et syndicats) du territoire.

Le but ? Réfléchir sur cinq macro-sujets (Énergie, Consommation et production, Nutrition et usage paysager, Immobilier, Mobilité) au cours de cinq séances de travail pour dégager un ensemble de propositions établies collectivement afin de les présenter au gouvernement de la province.

Celle-ci a présélectionné 5 000 citoyens représentatifs de la population du Haut-Adige (selon leur genre, âge, lieu de résidence, catégorie socio-professionnelle, etc.). Cinquante ont été retenus après avoir été informés puis sondés sur leur niveau d’intérêt envers les sujets liés à la transition écologique. S’y ajoutent six jeunes âgés de 16 à 18 ans et intégrés sur la base du volontariat.

Pour consolider les connaissances des participants en matière de transition écologique et pour évaluer la qualité du processus participatif, le Conseil citoyen pour le climat est encadré par l’Alliance scientifique en faveur d’un Haut-Adige durable. Un conglomérat d’instituts de recherche et de laboratoires s’est attelé à vulgariser certains concepts aux citoyens puis se chargera de vérifier l’impact des futures propositions de mesures sur les objectifs de développement durable prônés par le Plan Climat 2040 du Haut-Adige.

Entre décembre 2024 et février 2025, le gouvernement provincial débattra des mesures suggérées par les citoyens. En l’état, la province imagine reconduire le processus de conseil citoyen tous les deux ans. De quoi impliquer les habitants du Haut-Adige dans la vie politique du territoire, mais aussi de les mobiliser et d’éveiller leurs compétences dans le domaine de la transition écologique.

Du plan provincial de mobilités jusqu’au Conseil citoyen, le Haut-Adige tente d’inclure toutes les parties de sa société dans la lutte contre le changement climatique. Si les premiers résultats se montrent peu à peu, l’action sur le temps long est de rigueur. Comme le clame si bien Klaus Egger, directeur du département durabilité de la province : “La science ne laisse pas la place au doute. Il n’y a plus à discuter des objectifs à remplir, seul le comment reste à débattre.”

Valentin Nonorgue – Territoires Audacieux